En février 1939, environ 500 000 réfugiés espagnols arrivèrent à la frontière française. Ils fuyaient l’avancée des troupes du dictateur Franco et sa répression sanglante envers les républicains espagnols.
Parmi cette cohorte de malheureux transis par le froid et la neige, il y avait mon père, mon oncle, mon grand père, ma grand-mère, ma grande-tante et mon arrière grand-mère.
Mon grand-père était très engagé dans la seconde République espagnole, démocratiquement élue en 1931 et alliée de la République française. Il était également un fervent partisan de l’indépendance de la Catalogne. A ce titre, il se savait condamné par la répression franquiste aveugle (au minimum 80 000 exécutions sommaires de républicains entre janvier et mars 1939).
Après la chute de Barcelone, il prit la décision d’abandonner tout ce qui faisait sa vie à Lérida et de mettre sa famille à l’abri en France, confiant dans l’accueil de la République française.
Les premiers réfugiés étant arrivés début janvier 1939, la France avait d’abord mis en place un dispositif d’empêchement avec fermeture de la frontière. Mais la chute du front de Catalogne et la prise de Barcelone, générèrent un exode massif.
La frontière fut alors ouverte le 27 janvier par le gouvernement français. Cette ouverture ne fut, dans un premier temps, concédée qu’aux civils, les gardes mobiles et le 24e régiment de tirailleurs sénégalais faisant le tri, repoussant même de force les hommes valides. Lors de l’entrée sur le territoire français, les réfugiés furent dépouillés de tout : armes, mais aussi bijoux, argent liquide, etc.
Début mars1939, les autorités estimèrent le nombre de réfugiés à environ 500 000 ou plus, dont un tiers de femmes, enfants et vieillards. Sur ce total, 330 000 furent hébergés dans l’urgence dans les Pyrénées-Orientales, et plus de 130 000 furent évacués dans les départements des deux tiers sud de la France.
Les conditions de vie dans les camps de concentration, hâtivement bâtis sur les plages du Roussillon, furent terribles, particulièrement à Argeles. On estime que de février à juillet 1939, 15 000 personnes moururent dans les camps, la plupart de dysenterie…
Des femmes et des enfants morts sur des plages, ça ne vous rappelle rien ?
Mon grand-père sera séparé du reste de sa famille et interné durant 10 mois au camp de concentration de Bram, dans l’Aude. La photo en entête, prise par Agusti Centelles, un grand photographe catalan, le montre lors de son arrivée au camp.
Pendant ces dix longs mois, il sera sans aucune nouvelle de sa femme, de ses deux fils, de sa mère et de sa soeur. Il ignorera même qu’ils sont internés à plus de 600 km de lui, à Charmont près d’Angers, dans une ancienne carrière d’ardoise transformée en lieu d’internement…
Tous ces réfugiés ne bénéficièrent pas d’un accueil optimal, c’est le moins que l’on puisse dire. Malgré un gouvernement en place issu du Front populaire, la France de 1939 est loin d’être pour les Espagnols, la République sœur dont ils espéraient obtenir réconfort et soutien.
Rongée par la crise économique, en proie aux sentiments xénophobes, repliée sur elle-même, la société française offre aux réfugiés un accueil plus que mitigé. Plusieurs décrets ont été édictés par le gouvernement Daladier, dont celui du 12 novembre 1938, qui prévoit l’internement administratif des étrangers « indésirables », c’est-à-dire susceptibles de troubler l’ordre public et la sécurité nationale…
Ce climat et ces mesures, ça ne vous rappelle rien ?
Et pourtant, malgré les déchaînements de haine et de xénophobie dans les journaux de l’époque, malgré les diatribes des partis d’extrême droite sur le « péril rouge » qui allait contaminer la France et les appels incessants à les renvoyer chez eux en Espagne, il y eut très peu d’incidents provoqués par ces réfugiés.
Qui plus est, la guerre étant déclarée à l’été 39, beaucoup combattirent spontanément pour la France dans la légion étrangère, furent souvent les premiers cadres des maquis naissants ou les troupes d’élites de la fameuse 2ème DB qui libéra Paris.
Et les familles qui n’avaient pas été renvoyées de force, s’intégrèrent et participèrent au développement français de l’après-guerre.
Je suis un des fruits de cet exode et même si on parlait parfois catalan à la maison, si on supportait le Barça et si on mangeait de la paella le dimanche au lieu du cassoulet, on s’est toujours sentis français.
C’est pourquoi, la situation récente des réfugiés de Syrie ou d’Irak me touche au plus haut point. Je ne peux pas m’empêcher de faire un parallèle avec cette époque, tant les points de ressemblance sont nombreux.
Et, le moins que l’on puisse dire, c’est que je n’ai pas l’impression que la perception de l’urgence et du drame de cette crise humanitaire touche vraiment les français…
Ou plutôt si, elle en fédère beaucoup dans le rejet de ces migrants… On retrouve quasiment les mêmes discours qu’à l’époque où il suffit juste de transformer « péril rouge » par « péril islamique ». On parle également de gens qui ne veulent pas s’intégrer et qui menacent nos prétendues valeurs. Voire de 5ème colonne, comme dans les années 30…
De plus, j’en ai assez d’entendre beaucoup de gens dans les conversations ou sur les forums, ânonner la même phrase « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde… ». Pensez, une phrase dite par un premier ministre de gauche… Le plus souvent, ils oublient d’ailleurs la fin de la phrase : « ..mais elle doit en prendre sa part ».
J’ai du mal à penser que l’on fasse partie de la même France… La mienne, elle s’est construite depuis deux siècles sur les valeurs de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Rien à voir avec cette prétendue civilisation séculaire chrétienne européenne, qui n’était qu’une société féodale où le plus fort imposait sa loi au plus faible et où l’obscurantisme religieux pouvait vous conduire au bucher si vous pensiez différemment…
En somme, cette société ressemblait curieusement à celle que ces migrants de Syrie ou d’Irak veulent fuir pour que leurs enfants aient la chance de pouvoir échapper à la tyrannie et avoir une vie meilleure, déterminée par leur mérite et pas par leur naissance…
Et puis, j’ai honte que ce soit l’Allemagne et Mme Angela Merkel, que nos médias nous présentent depuis longtemps comme une horrible libérale, qui prennent l’initiative de faire tomber le mur de l’indifférence et de l’égoïsme, en décidant d’accueillir largement ces réfugiés.
Et si certains prétendus vrais français veulent continuer à attiser les braises de le discorde, du repli sur soi et de la haine de l’autre, et bien tant pis pour eux, qu’ils restent dans leur médiocrité et leur égoïsme.
Car de mes racines catalanes, il me reste certaines maximes comme « Nosaltres no som d’eixme mon !« . On pourrait la traduire par « Nous autres, nous ne faisons pas partie de ce monde là..« .
S’intégrer ne veut pas dire raser les murs, faire taire ses valeurs et hurler avec les loups contre les faibles et les opprimés, sous prétexte que 20% des français votent pour l’extrême droite…
En effet, je refuse qu’ailleurs en Europe, on m’assimile à cette frange de français frileux, racistes et égoïstes qui, s’ils sont nés par hasard dans l’hexagone, ne méritent pas d’être qualifiés de citoyens français !
Et pour continuer dans la langue natale de mon grand-père, « Digem no ! » : Je dis non ! Non à la la peur et à l’indifférence.
Allons, mes frères citoyens français, montrons que nous sommes à la hauteur de l’histoire et de la grandeur de notre nation, en tendant la main à ces réfugiés !
C’est dans l’engagement que se joue l’avenir de notre République, pas dans le repli sur soi !
Sources, liens et remerciements :
Un très bon article issu du Musée de l’histoire de l’immigration
« Nosaltres no som d’eixe mon » d’après une chanson de Raimon Digem no !
Photos d’Agusti Centelles
Petite-fille de normand, arrière-petite-fille de normand mais quand même descendante de viking -et le viking-land, c’est loin 😉
Trêve d’idioties, j’aime beaucoup ton texte et partage complètement ton point de vue.
et j’ai honte d’accueillir bientôt mes ptites congolaises dans un pays qui ferait mieux d’effacer le mot « fraternité » du fronton de ses mairies… On est très loin du compte dans les faits….
Continue à t’énerver comme ça
bises
Sophie
Bravo, très beau texte !
Ce n’est pas un impur comme moi qui va apprendre à un descendant d’Espingouin comme toi qu’un certain Cavanna a écrit des tas de lignes merveilleuses sur les Ritals et les Polaks, que 50000 italiens de Corato et d’un autre village des Pouilles sont venus s’installer à Grenoble, qu’un tiers des italiens a quitté la botte en quelques dizaines d’années (ça a fait de la place à Lampedusa, c’est pratique !), qu’une immigration chasse l’autre, que racisme et acculturation sont liés, etc etc etc. La liste est longue et toujours la même !
Pour s’en persuader, il suffit de relire « les étrangers sont nuls », téléchargeable ici : http://babiline.free.fr/wp-content/uploads/les-etrangers-sont-nuls.pdf. Desproges doit se retourner dans sa tombe…
Mais bon, ces arguments venant d’un petit-fils de catalan, avec un peu de sang polonais, qui a passé 10 ans avec une kabyle et qui est aujourd’hui mariée à une italienne, père de deux enfants bilingues, beau-frère d’une brésilienne et tonton d’un p’tit gars maqué avec une anglaise… Ça craint forcément, vous en conviendrez j’espère !
Allez, un papier de Sorman sur le monde d’aujourd’hui : http://www.lemonde.fr/idees/reactions/2015/09/03/les-refugies-d-aujourd-hui-me-rappellent-mon-pere-fuyant-le-nazisme_4744078_3232.html.
Pas toujours d’accord avec Sorman mais là, je trouve qu’il fait mouche. Même s’il oublie la seconde partie de la citation de Rocard !
Bises et baci et kisses et beijos !
Mais un coup de pied au cul aux frileux, racistes, réacs et autres peureux qui aiment bien Djamel, parce que Djamel, il est pas comme les autres, il fait un bon couscous…
– « Ouais mais Djamel, c’est pas pareil tu comprends ? ».
– « Je comprends, je comprends même très bien. Vafanculo ! »
Philippe