– Non, non et non, Irina Garzettova !
Cela fait dix fois que je vous le dit : vous n’êtes pas prête ! Et la grande première du spectacle est dans moins d’une semaine….
– Mais Monsieur Martin, je fais pourtant de mon mieux…
– Et bien ce n’est pas suffisant ! j’ai été engagé spécialement pour vous faire répéter et, foi de Martin Pêcheur, vous allez travailler vos figures !
Bon, reprenons, faites moi quelques pas simples et gracieux :
– Et bien, ce n’est pas gagné…On dirait une poule d’eau…
– Ah non, vous faites erreur Monsieur Martin, les poules d’eau sont des Gruiformes comme les grues, les râles d’eau, et les foulques, alors que nous, les aigrettes garzettes sommes des Pelecaniformes comme les pélicans, les ibis ou les hérons…
Et nous sommes même précisément de la famille des Ardeidae comme les hérons, les butors, les crabiers et autres blongios…
– Oui, admettons, mais ici c’est un cours de danse pas un leçon de sciences naturelles…
Allez, faites moi la figure avec les ailes déployées maintenant :
M’oui…C’est mieux mais ce n’est pas encore ça…Quand vous déployez vos ailes, l’important c’est d’essayer de capter la lumière afin de donner de la transparence diaphane à votre mouvement, vous me suivez ? Allez, essayez encore !
Bon, là, c’est mieux ! Passons maintenant à des figures plus aériennes; je veux qu’on ait l’impression que vous ne touchez pas terre, que vous êtes soulevée par la grâce; vous pouvez me faire ça, Irina Garzettova ?
– Je vais essayer monsieur Martin…
– Bien, bien, c’est pas mal ! Il faut reconnaitre que vous faites preuve de légèreté pour votre gabarit….
-Mais Monsieur Martin, je ne mesure qu’environ 65 cm et je pèse entre 500 et 650 gr, ce n’est pas beaucoup par rapport à mes cousins les hérons ou les grues…
– Bah, vous savez moi je mesure 16 cm et je pèse 40 gr et je suis réputé pour mon vol acrobatique en rase motte sur l’eau, entre 40 et 45 km/h. Alors ça ne m’impressionne pas…
Mais, nous ne sommes pas là pour parler de moi….Bon, faisons une petite pause avant de passer à la suite.
Mais, mais, vous êtes en train de manger durant la pause ! Et votre régime ? Et d’abord, que mangez vous donc là ?
– Oh, que des choses naturelles et protéinées…Généralement, je me nourris de petits poissons, de lézards, de grenouilles, d’insectes aquatiques et de petits crustacés.
– Et comment arrivez vous à trouver une telle diversité d’aliments ?
– Oh, c’est simple, je me balade au bord des berges là où l’eau est peu profonde et je marche lentement les ailes partiellement déployées pour réduire la réverbération du soleil et procurer de l’ombre afin d’attirer quelque proie sous la surface de l’eau.
Puis, je me sert de mes pattes pour remuer un peu l’eau. Je peux même me tenir debout sur une seule patte, tandis que je remue la vase avec l’autre pour effrayer les poissons, ou faire des vagues pour amener mes proies près de mon bec.Et là, je les attrape ou je les transperce d’un coup de bec ! Et je n’ai plus qu’à les ingurgiter….Miam, miam…
– Oui, bon, reprenons.
D’ailleurs, voilà votre partenaire qui arrive pour travailler les scènes à deux…
– Euh, vous voulez dire que je vais danser avec la grande aigrette en personne ?
– Ben, oui, pourquoi ? Ça vous pose un problème ? Je pensais que vous étiez de la même famille ?
– Oui, enfin, on porte le même nom de famille mais uniquement dans le langage commun…
Nous sommes effectivement toutes les deux de la famille des Ardeidae mais, nous les aigrettes garzettes, notre véritable nom c’est Egretta garzetta alors que le sien c’est Ardéa alba.
Et on ne se rassemble pas tant que ça. D’abord, elle est beaucoup plus grande que moi avec ses 105 cm et son envergure de 140 à 170 cm. Et puis, elle pèse 2 à 3 fois plus que moi avec ses 1 000 à 1 500 g…
Ensuite, nous avons un bec gris/noir et elles un bec jaune ! Et puis nos costumes n’ont rien à voir…
– Comment ça, rien à voir ? Mais vous portez toutes les deux un justaucorps et un tutu blanc…
– Oui mais nous les garzettes nous avons un collant noir et des chaussons jaunes alors que les grandes aigrettes ont un collant noir et des chaussons noirs...
– Certes, certes mais vous avez beaucoup de points communs à ce qu’on m’a dit….
D’abord, vous mangez sensiblement la même chose toutes les deux et vos techniques et lieux de pêches sont identiques même si votre cousine la grande aigrette s’aventure parfois dans des zones plus profondes :
Et puis vous nichez toutes les deux dans les roselières, les zones broussailleuses humides ou les arbres près de l’eau, même si vous les garzettes vous pouvez être à une hauteur de 20 mètres et les grandes aigrettes rarement au dessus de 12 m !
Le nid est une plate-forme faite de brindilles ou de roseaux. Vos femelles y déposent 3 à 5 œufs bleu verdâtre clair et l’incubation dure environ de 21 à 25 jours, partagée par les deux parents.
Et puis surtout, il y a cette fameuse aigrette qui vous a donné votre nom de famille !
A la saison des amours, de très longues plumes ornementales, appelées aigrettes ou crosses, descendent des épaules ou de l’arrière du crane, et tombent sur votre queue ou sur le bas du dos.
C’est d’ailleurs cette aigrette qui a également failli vous perdre toutes les deux…
En effet, la beauté de ces plumes est telle qu’elles étaient très recherchées pour les chapeaux des dames ou pour les costumes de music-hall. Les chasseurs et les piégeurs vous avaient quasiment décimées en Europe de l’ouest. Heureusement, aujourd’hui, ces pratiques sont interdites en Europe et vous et vos cousines êtes protégées…
Mais trêve de bavardages et revenons à la danse car votre partenaire arrive :
– Bien le bonjour grande aigrette ! Je présume vous avez bien lu le scénario qui sert de base à ce ballet ?
– Corr ! Corr ! On m’a juste dit de venir pour la répétition et qu’on m’expliquerait tout…
– Ah, ces stars…Bon, je vais vous le raconter…Il s’agit d’un projet avant-gardiste pour cette noble institution : nous allons créer un ballet sur l’amour sans frontières entre deux individus différents mais qui s’aiment….Et ça ne plait pas à leurs familles qui voient cette union d’un mauvais oeil…Un genre de Roméo et Juliette ou de West side story moderne quoi…
Mais aujourd’hui, nous n’allons travailler que la rencontre et le début de l’amour entre ces deux êtres de lumière…Si ce premier acte obtient du succès auprès des abonnés, nous écrirons la suite de l’histoire avec, en particulier, la réaction des familles…
Donc, voilà l’histoire :
« Il était une fois une aigrette garzette de bonne famille qui s’ennuyait sur sa rivière…
Ses parents voulaient la marier avec un autre jeune homme de bonne famille qui ne lui plaisait pas…
Elle en était à se demander s’il ne vaudrait mieux pas qu’elle fugue et qu’elle aille migrer là bas, très loin au sud, vers un territoire magique de liberté dont parlent les romans et qu’on appelle la Camargue, quand il apparut….
Il était grand, il était beau, il sentait bon le sable chaud et le poisson frais…En une fraction de seconde notre aigrette garzette tomba amoureuse…
Mais pas question de lui donner l’impression qu’elle était une oie blanche facile à plumer…Elle mima l’indifférence…
Mais alors qu’il se rapprochait, son plumage l’éblouissait et elle avait de plus en plus de mal à rester distante…
Il s’approcha d’elle lentement, jusqu’à la frôler. Son parfum l’envouta, sa tête tourna et elle fut sur le point de succomber et se laisser aller dans ses ailes si belles…Mais, non, elle n’était pas n’importe qui, elle ne pouvait pas céder comme ça…
Il la regarda dans les yeux, mon dieu qu’il était beau avec son grand bec jaune….Et tenta de toucher son bec…Dans un immense effort de volonté, elle détourna la tête et contempla d’un air détaché le cours de la rivière…
Surpris par sa réaction, il commença à s’éloigner doucement de la belle et farouche garzette…
– Comment ? Mais ce grand imbécile n’a rien compris ! Mais c’est qu’il a l’air de vraiment s’en aller…Que vais je devenir s’il me laisse ici?
Allez ! Au diable les convenances et les bonnes manières, je me lance !
Elle s’approcha doucement de lui, mettant en valeur au mieux possible la beauté de ses ailes
Il se pencha vers elle, la regarda intensément dans les yeux, et il toucha son bec….
La belle garzette se laissa aller tout contre lui, tout à son bonheur, indifférente aux conséquences de son acte….Elle était enfin heureuse comme elle l’avait toujours rêvé…
– Rideau ! Voilà c’est la fin de l’acte I, dit monsieur Martin.
Maintenant c’est aux spectateurs de décider : s’il veulent la suite de ce ballet, il faut qu’ils le manifestent par leurs commentaires (bas de page ou via Facebook)…Le metteur en scène a déjà prévu la suite mais il attend pour achever de l’écrire…
En attendant, Irina Garzettova et la Grande Aigrette, vous avez du travail !
Allez, on reprend le premier mouvement et avec de la grâce s’il vous plait !
Une, deux trois, quatre, une, deux…
A suivre ?
Liens et remerciements :
Toutes les photos ont été prises entre la mi-septembre et la mi-octobre à la Réserve naturelle de Printegarde dans la Drôme.Il n’y a donc pas de photos de la grande aigrette avec ses aigrettes ou crosses car la période nuptiale était passée (mi-avril à juillet).
Mon album photo : Pour ceux qui veulent retrouver toutes les photos d’Irina Garzettova en meilleure résolution
La hulotte : et oui, on en revient toujours à La Hulotte dont je m’inspire pour ces petites histoires éducatives
Wikipedia, pour les généralités sur les aigrettes et martin pêcheur
Oiseaux.net pour les fiches détaillées sur les aigrettes et martin pêcheur
Oiseaux-birds.com avec des infos et de belles photos, en particulier de l’aigrette nuptiale de la grande aigrette
Cahiers d’Habitat « Oiseaux » avec plus d’infos sur l’aigrette garzette
Et si vous avez aimé ma petite histoire vous pouvez lire les autres de la même série dans : Les reportages
Comme toujours, de bien belles photos !
trés eréèss!n bien qu’un peu long. Vous avez perdu la moitié des lecteurs en route…
C’est effectivement un peu long mais on est dans la rubrique « Reportages », dont l’objectif est de valoriser les photos et de donner l’envie de s’intéresser aux espèces.
Pour les formats plus « resserrés », il y a la rubrique « blog » (http://glacas.fr/blog/category/blog/). Mais c’est une autre histoire…
En tous cas, merci pour le commentaire, toutes les remarques aident à progresser !
Sublime Florent quel talent autant pour les images que l’imagination et la qualité du récit
j’attends le prochain épisode!
Superbe on attend la suite! Bises
Et bien tu t’es encore surpassé, pour cette fois…
Superbe, comme d’hab !
Tu gères aussi les piafs ^^
Par contre, quand on clique sur le lien des Pelecaniformes, ça envoie sur la page des gruiformes, ptet une correction à faire ?
je vote pour la suite du soap opéra … 🙂